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La crise financière européenne est d’abord une crise de gouvernance
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Quatre mesures décisives pour sortir de la crise de gouvernance.
Alors que l’Europe est au bord de la récession et que le spectre d’une nouvelle crise bancaire menace nos économies, force est de constater que la crise de la dette est devenue une crise politique qui menace l’Europe dans ses fondements.
Depuis près de dix huit mois maintenant, les gouvernements français et allemands collematent, bouchent les trous d’une embarcation qui prend l’eau de toutes parts alors que ce qui est requis est une révision de fond en comble de la gouvernance économique européenne et la réalisation que nous sommes confrontés à un choix radical mais finalement assez simple.
Si le couple franco-allemand et la Banque Centrale Européenne restent dans le déni et continue de proposer des solutions approximatives à la crise, faisant toujours trop peu trop tard, la pression des marchés aboutira inexorablement à une désintégration pure et simple de la zone euro. L’Allemagne retournera alors au Deutsche Mark qui s’appréciera d’au moins cinquante pourcent en quelques jours causant une chute brutale de ses exportations. Les pays d’Europe du Sud seront obligés de faire défaut sur leurs dettes ce qui entrainerait une véritable déroute d’un système bancaire européen déjà insuffisamment capitalisé. Cette crise bancaire assècherait le crédit aux entreprises et aux particuliers et l’Europe connaitrait alors sa Grande Dépression avec les conséquences sociales que l’on peut imaginer. Quand Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a récemment mis le doigt sur la vulnérabilité du système bancaire européen – une évidence – elle s’est vue injustement rabrouée par une Banque Centrale Européenne plutôt partisane de la loi du silence et qui, comble du paradoxe, a remonté ses taux directeurs il y a à peine quelques mois alors que l’Europe est au bord de l’asphyxie. A n’en pas douter, la désintégration de la zone euro est le scénario-catastrophe d’où tout le monde sortirait perdant, l’Allemagne la première.
L’alternative serait que l’Allemagne et la France fassent enfin preuve de courage politique et mettent en place un projet européen ambitieux centré sur quatre mesures clé :
– intégration fiscale avec la création d’un gouvernement économique européen. Chaque pays garderait la maitrise de l’allocation de son budget, mais les montants globaux de dépenses et d’endettement seraient déterminés de façon centralisée ;
– doublement de la taille du fonds de stabilisation européen agissant comme un FMI de la zone euro (les €440 milliards actuels sont notoirement insuffisants pour sauver l’Italie et l’Espagne) ;
– transformation de la BCE en bras armé de la politique économique et monétaire de l’union à l’instar de la Réserve Fédérale aux Etats Unis. Le mandat de la BCE ne se limiterait plus au seul contrôle de l’inflation mais inclurait également le maintien de la croissance dans les pays de la zone euro ;
– émission d’euro-obligations garanties par l’ensemble des Etats membres. Ceci n’est pas nécessairement la première mesure à prendre mais il est néanmoins important que le principe de ces euro-obligations soit clairement établi. N’oublions pas qu’avec un ratio d’endettement de 82% de son produit intérieur brut, la zone euro, prise dans son ensemble, est plus forte financièrement que les Etats Unis, le Japon ou la Grande Bretagne qui sont bien plus endettés. Ce qui manque, c’est la volonté de donner une image plus fédérale de la zone euro.
Si l’Europe allait dans cette direction, elle retrouverait rapidement ses marges de manœuvre. Certes, ces mesures impliquant l’émergence d’une notation de crédit mutualisée à l’échelle européenne auraient un coût important pour l’Allemagne et pour la France. L’Allemagne ne serait par exemple plus en mesure d’émettre des obligations à 10 ans au taux actuel – d’ailleurs anormalement bas – de 2% et devrait accepter un renchérissement du coût de sa dette à 3.5% ou 4% par an, soit à peu près 40 milliards d’euros d’intérêts supplémentaires. Mais aussi significatif qu’il puisse paraître, ce chiffre est sans commune mesure avec le coût financier abyssal de la désintégration. On n’évoque même pas ici les dégâts politiques causés par la disparition de l’euro qui ruinerait en quelques mois cinq décennies d’efforts de construction européenne.
Il n’y a tout simplement pas de scénario intermédiaire et cette conclusion est en train de s’imposer à peu près à tous les experts économiques, y compris à Berlin. Même la puissante association des exportateurs allemands s’est exprimée publiquement en faveur des euro-obligations. Du coté français, tout le monde sait depuis longtemps que l’émergence d’une Europe fédérale sur le plan économique est inévitable même si le souci de préserver la susceptibilité d’Angela Merkel n’a pas permis de défendre cette position lors du dernier mini-sommet à l’Elysée. On peut le regretter.
Malheureusement, les marchés n’attendront pas. Quand il s’agit de mauvaises nouvelles, les marchés sont une implacable machine à transformer le possible en probable et le probable en réalité. Les leçons de 2008 n’ont pas été retenues par les leaders politiques européens. C’est quand le consommateur et les entreprises perdent confiance face à des gouvernants qui paraissent impuissants et que les banques affaiblies ne prêtent plus, que le pire, qui n’était alors qu’une hypothèse, se transforme en douloureuse réalité. Et ceci se produit à une vitesse qui surprend toujours. C’est la perception négative de l’avenir qui finit toujours par créer une récession et le seul élément susceptible d’enrayer cette logique, où la psychologie joue un rôle clé, c’est la crédibilité et l’initiative politique.
Nous sommes aujourd’hui exactement à ce point d’inflexion. La réforme de la zone euro prendra nécessairement du temps mais les citoyens européens et les marchés ont besoin de sentir qu’il y a un pilote dans l’avion et une feuille de route. Se contenter de dire que l’on est déterminé ne suffit plus. Il est urgent de présenter du concret, faute de quoi l’Europe basculera dans le chaos. Le temps manque mais il est encore possible d’inverser le cours des évènements. Si nous n’y parvenons pas, l’histoire retiendra que la crise économique majeure que nous vivrions alors, aura été, d’abord et avant tout, une crise de gouvernance.
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Daniel Pintio est aussi président du New City Initiative, un think-tank s’occupant de la réforme du secteur des services financiers en Europe.
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Daniel Pinto, président et co-fondateur de Stanhope Capital | 12.09.11 | 09:27